Menu

Réforme: les causes d'exonération /d'exclusions de la responsabilité

Réforme: les causes d'exonération /d'exclusions de la responsabilité

Les causes d’exonération ou d’exclusion de la responsabilité (art. 1253 s.)

L’avant-projet consacre tout un chapitre aux causes d’exonération ou d’exclusion de la responsabilité, comportant par certains aspects des avancées pratiques notables pour la protection des victimes tout en apportant des modifications conceptuelles importantes.

 

Avant-projet

CHAPITRE III – LES CAUSES D’EXONERATION OU D’EXCLUSION DE LA RESPONSABILITE

SECTION 1 – Les causes d’exonération

Art. 1253 (Force majeure) – « Le cas fortuit, le fait du tiers ou de la victime sont totalement exonératoires s’ils remplissent les caractères de la force majeure.
En matière extracontractuelle, la force majeure est l’événement dont le défendeur ou la personne dont il doit répondre ne pouvait éviter la réalisation ou les conséquences par des mesures appropriées.
En matière contractuelle, la force majeure est définie à l’article 1218. »

Art. 1254 (Exonération partielle) – « Le manquement de la victime à ses obligations contractuelles, sa faute ou celle d’une personne dont elle doit répondre sont partiellement exonératoires lorsqu’ils ont contribué à la réalisation du dommage. En cas de dommage corporel, seule une faute lourde peut entraîner l’exonération partielle. »

Art. 1255 (Victime privée de discernement) – « La faute de la victime privée de discernement n’a pas d’effet exonératoire. »

Art. 1256 (Opposabilité de la faute de la victime aux victimes par ricochet) – « La faute ou l’inexécution contractuelle opposable à la victime directe l’est également aux victimes d’un préjudice par ricochet. »

SECTION 2 – Les causes d’exclusion de responsabilité

Art. 1257 – « Le fait dommageable ne donne pas lieu à responsabilité pour faute lorsqu’il était prescrit par des dispositions législatives ou réglementaires, imposé par l’autorité légitime ou commandé par la nécessité de la légitime défense ou de la sauvegarde d’un intérêt supérieur.
Ne donne pas non plus lieu à responsabilité le fait dommageable portant atteinte à un droit ou à un intérêt dont la victime pouvait disposer, si celle-ci y a consenti. »

I – Analyse

A) Les causes d’exonération de la responsabilité (art. 1253 à 1256)

1) Cause d’exonération totale

En prévoyant que, pour être dispensé totalement de la responsabilité qui lui incombe, le défendeur doit apporter la preuve que le cas fortuit, le fait, sous-entendu fautif ou non, d’un tiers ou de la victime revêt les caractères de la force majeure, l’avant-projet de loi, à l’article 1253, alinéa 1er, confirme globalement le droit positif et mérite d’être approuvé sur le fond.

La force majeure est, en effet, la seule circonstance permettant de démontrer que le défendeur n’a joué aucun rôle causal dans la réalisation du dommage. Sur la forme, on notera toutefois qu’aucune référence n’est faite à la cause étrangère dans le prolongement de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, alors que cette notion est utile non seulement pour donner une conception unitaire de la force majeure et de l’exonération totale en évitant l’énumération à laquelle procède l’article 1253, alinéa 1er, mais aussi pour mettre en évidence la justification profonde de l’exonération totale de responsabilité, la négation de la causalité. L’absence de la cause étrangère pourrait laisser penser que le fondement de la libération du défendeur a changé. Pour ces raisons, nous proposons d’introduire la notion de cause étrangère.

De surcroît, la référence au cas fortuit prête à confusion dans la mesure où en droit privé, il est synonyme de la force majeure. Il serait souhaitable de la supprimer et de viser plutôt le fait de la nature et le fait humain anonyme.

Définition de la force majeure

L’article 1253, alinéa 2, du projet renonce, pour définir la force majeure, au triptyque classique extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité pour lui préférer le diptyque inévitabilité et insurmontabilité. Ainsi, la force majeure extracontractuelle coexiste avec la force majeure contractuelle, qui fait l’objet d’une définition autonome (nouvel article 1218, al. 1er), reposant, elle aussi, sur les caractères d’inévitabilité et d’insurmontabilité mais ajoutant, de manière attendue, la condition d’imprévisibilité, qui est de l’essence de la force majeure en matière contractuelle.

L’extériorité disparaît à juste titre des caractères de la force majeure. Elle n’est pas inhérente à celle-ci. En dépit de son absence, on continuera, quoi qu’il en soit, à considérer que le défendeur ne peut pas invoquer, pour s’exonérer, la circonstance que le dommage trouve son origine dans le fait des choses ou des personnes dont il répond.

L’imprévisibilité est chassée en matière extracontractuelle, sans doute parce qu’elle n’est pas une condition autonome de la force majeure mais, au mieux, un indice de l’inévitabilité. En effet, chaque fois qu’un événement aurait pu être évité par des mesures appropriées, il n’est pas en soi constitutif de la force majeure. De surcroît, il est inique de maintenir la condition d’imprévisibilité lorsque même prévisible, un événement ne peut pas être empêché.

L’irrésistibilité, quant à elle, disparaît seulement d’un point de vue formel puisqu’elle subsiste à travers l’inévitabilité (irrésistibilité d’un événement dans sa survenance) et l’insurmontabilité (irrésistibilité de celui-ci dans ses effets). Un événement est qualifié de force majeure lorsqu’il n’aurait pu, lui ou ses conséquences, être empêché. Soit la réalisation d’un événement aurait pu être évitée, et ce n’est pas un événement de force majeure, soit celui-ci était inévitable mais ses effets auraient pu être écartés, et ce n’est pas non plus un événement de force majeure. Il est dès lors tout à fait opportun de recentrer la force majeure sur l’inévitabilité et l’insurmontabilité. Ces deux caractères permettent de vérifier que le comportement du défendeur n’est aucunement à l’origine du dommage et qu’une quelconque responsabilité ne peut subsister. Toutefois, il faudrait prendre garde que l’on ne déduise pas de cette nouvelle définition de la force majeure une évolution quant au fondement de son effet exonératoire. Celui-ci doit rester attaché à l’absence de causalité entre le comportement du défendeur et le dommage et ne pas être substitué à l’absence de faute du défendeur. La force majeure doit conserver son effet libératoire général, que la responsabilité soit fondée sur la faute ou pas.

Par ailleurs, il nous semble étrange de préciser à l’article 1253, alinéa 3, que lorsque la responsabilité est engagée sur le fondement du fait d’autrui, la force majeure doit être appréciée par rapport à l’auteur du dommage. Étant donné qu’il s’agit de savoir si la responsabilité du défendeur doit être en définitive engagée, la force majeure doit être exclusivement appréciée par rapport à lui. Il faut ainsi se demander si l’événement susceptible de recevoir la qualification de force majeure a été inévitable et insurmontable pour le civilement responsable. Si l’événement en question est constitutif de la force majeure pour l’auteur du dommage, cela revient simplement à rompre le lien de causalité entre son fait et le dommage de sorte que les conditions de la responsabilité du défendeur ne sont même pas réunies en amont. Pour mémoire, il n’y a lieu de parler d’exonération que lorsque les conditions de la responsabilité du défendeur sont en apparence réunies.

2) Causes d’exonération partielle

Il résulte de l’article 1253 du projet que le cas fortuit et le fait du tiers qui ne revêtent pas les caractères de la force majeure ne sont pas des causes d’exonération partielle. Même si ces circonstances ont concouru à la survenance du dommage, la responsabilité du défendeur est entière, celui-ci sera condamné au tout (V. pour confirmation pour le fait du tiers, l’article 1265 du projet). Les solutions actuelles sont en conséquence maintenues sur ce point et s’imposent dans un souci de protection de la victime afin de ne pas lui faire courir le risque d’obtenir moins que l’équivalent monétaire de son dommage lorsqu’elle n’a pas, par son fait, contribué à la réalisation du dommage. Un certain nombre de modifications concernent, en revanche, la faute de la victime.

La nouvelle délimitation des responsabilités contractuelle et extracontractuelle oblige à définir autrement la faute de la victime. La réparation du dommage corporel résultant de l’inexécution d’un contrat entrant dans le giron de la responsabilité extracontractuelle, les rédacteurs du projet ont cru bon d’énoncer que le manquement de la victime à ses obligations contractuelles emporte exonération partielle du défendeur (art. 1254) et qu’il est opposable aux victimes par ricochet (art. 1256). Bien que, dans la logique du projet, cette précision soit utile dans la mesure où le manquement contractuel n’est pas toujours constitutif d’une faute (lorsque l’obligation méconnue est de moyens), elle doit, dans notre logique, être supprimée puisque nous ne sommes pas favorables à l’éviction automatique de la responsabilité contractuelle en matière de dommage corporel (V. nos observations sur l’article 1233 du projet).

L’article 1254 du projet prend également soin de préciser qu’emporte exonération partielle du défendeur la faute commise par une personne dont la victime répond. Cette solution trouve écho dans quelques arrêts rendus par la Cour de cassation qui ont permis au défendeur d’obtenir une réduction de sa dette de réparation lorsque l’enfant mineur ou le préposé de la victime a concouru, par sa faute, à la réalisation du dommage. Si l’on estime que l’effet libératoire de la faute de la victime n’est pas une peine privée, on peut, en effet, admettre la solution et la justifier par l’idée que la part de responsabilité incombant à la victime en sa qualité de parent ou de commettant d’un des coauteurs vient en diminution de sa créance de dommages-intérêts. Toutefois, ce n’est pas a priori la conception retenue par l’avant-projet. En privant d’effet exonératoire partiel la faute de la victime privée de raison, partant en subordonnant l’exonération à l’exigence de discernement de la victime, l’idée de peine privée est sous-jacente. En conséquence, il n’est pas logique d’opposer à la victime la faute d’une personne dont elle répond.

Surtout, le projet de réforme contient deux innovations majeures.

D’une part, à l’article 1254, il prévoit qu’en cas de dommage corporel, seule la faute lourde de la victime a un effet exonératoire partiel. Jusqu’à présent, toute faute, même la plus légère, libère pour partie le défendeur. Ce n’est que par exception qu’une faute qualifiée est nécessaire pour produire un tel effet (faute de la victime d’un accident de la circulation non-conductrice, d’un dommage causé par un navire nucléaire). Le projet modifie profondément le droit positif en exigeant une faute lourde lorsque le dommage est corporel. Plusieurs observations peuvent être faites. Tout d’abord, il est étrange que la faute qualifiée qui a été choisie soit une faute lourde, celle-ci n’étant pas familière à la responsabilité extracontractuelle. Certes, les manquements contractuels ayant donné naissance à un dommage corporel seront dans le champ de la responsabilité extracontractuelle mais on ne saurait pour autant faire abstraction de la faute extracontractuelle pure. Il serait préférable, comme le proposait l’avant-projet Catala (art. 1351), de faire référence à la faute grave, moins connotée responsabilité contractuelle. Ensuite, le principe même de subordonner l’exonération partielle à une faute d’une certaine gravité, quelle que soit la qualification choisie, est gênant si la jurisprudence administrative continue à retenir qu’une faute simple de la victime suffit à exonérer partiellement l’administration de sa responsabilité. Pour l’heure, les solutions retenues par les juridictions judiciaires et administratives sont similaires s’agissant de la faute de la victime. Il serait regrettable de rompre cette harmonie ; la bonne administration de la justice et l’égalité de traitement entre les victimes, quel que soit l’ordre de juridiction compétent pour statuer sur la réparation, en dépendent. Or, il y a peu de chances pour que le juge administratif, soucieux de préserver les deniers publics, fasse évoluer sa position. En conséquence, la solution actuelle doit être maintenue en droit privé.

D’autre part, l’article 1255 du projet dispose que la faute des victimes privées de discernement n’a pas d’effet exonératoire. Cette modification importante doit largement être approuvée, à la fois sur la forme et sur le fond. Premièrement, la rédaction est habile, car elle permet de sauvegarder la conception objective de la faute appliquée à l’auteur du dommage. Sans sacrifier la protection des victimes qui pourront toujours rechercher la responsabilité personnelle de l’infans et du dément à l’origine de leur dommage, la réforme met enfin un terme au piège engendré par la logique juridique. La victime privée de raison ne peut pas se voir opposer sa propre faute pour diminuer sa créance de réparation. Secondement, la solution qui règne actuellement, consistant à prononcer un partage de responsabilité en raison de la faute commise par une personne qui n’est pas douée de discernement, est non seulement profondément injuste mais aussi infondée dans la mesure où ce partage, opéré en fonction de la gravité de la faute de la victime, est conçu aujourd’hui comme une peine privée. Il est fortement souhaitable d’y renoncer.

B) Les causes d’exclusion de la responsabilité (art. 1257)

1) Faits justificatifs

À l’article 1257, alinéa 1er, du projet, sont énoncés ce qu’on appelle communément les faits justificatifs, à savoir des circonstances qui sont de nature à effacer la faute commise.

Plusieurs suggestions peuvent être faites. Tout d’abord, il aurait été plus pertinent de placer ce texte après l’article 1242 qui définit la faute, car les circonstances visées n’ont lieu de jouer que dans le cadre d’une responsabilité pour faute. Ensuite, si l’on retrouve l’ordre de la loi, le commandement de l’autorité légitime, la légitime défense et l’état de nécessité, la permission de la loi ou de la coutume a été omise alors qu’elle est, elle aussi, prise en considération par la jurisprudence. Enfin, il faudrait préciser que toutes ces circonstances sont appréciées dans les conditions posées par le Code pénal aux articles 122-4 à 122-7 qui en fixent très précisément le régime. Un tel ajout permettra de reconduire le droit positif sans alourdir le contenu de l’article 1257.

2) Consentement de la victime

L’alinéa 2 de l’article 1257 consacre des dispositions au consentement de la victime et reprend à l’identique la proposition contenue dans le projet Terré. Il laisse au juge une assez grande latitude puisqu’il ne cherche pas à identifier les droits ou les intérêts dont les titulaires ont la libre disposition et ceux auxquels ils ne peuvent renoncer. Il serait opportun, malgré tout, de préciser que le consentement de la victime est sans effet en cas de dommage corporel, dans la mesure où l’avant-projet, dans son ensemble, met en évidence le sort particulier réservé au dommage corporel.

II- Propositions alternatives

Avant-projet

Art. 1253 – « Le cas fortuit, le fait du tiers ou de la victime sont totalement exonératoires s’ils remplissent les caractères de la force majeure.
En matière extracontractuelle, la force majeure est l’événement dont le défendeur ou la personne dont il doit répondre ne pouvait éviter la réalisation ou les conséquences par des mesures appropriées.
En matière contractuelle, la force majeure est définie à l’article 1218. »

Art. 1254 – « Le manquement de la victime à ses obligations contractuelles, sa faute ou celle d’une personne dont elle doit répondre sont partiellement exonératoires lorsqu’ils ont contribué à la réalisation du dommage. En cas de dommage corporel, seule une faute lourde peut entraîner l’exonération partielle. »

Art. 1255 – « La faute de la victime privée de discernement n’a pas d’effet exonératoire. »

Art. 1256 – « La faute ou l’inexécution contractuelle opposable à la victime directe l’est également aux victimes d’un préjudice par ricochet. »

Art. 1257 – « Le fait dommageable ne donne pas lieu à responsabilité pour faute lorsqu’il était prescrit par des dispositions législatives ou réglementaires, imposé par l’autorité légitime ou commandé par la nécessité de la légitime défense ou de la sauvegarde d’un intérêt supérieur.
Ne donne pas non plus lieu à responsabilité le fait dommageable portant atteinte à un droit ou à un intérêt dont la victime pouvait disposer, si celle-ci y a consenti. »

Propositions 

Art. 1253 – « Le défendeur peut s’exonérer totalement uniquement s’il apporte la preuve d’une cause étrangère (fait de la nature, fait humain anonyme, fait du tiers, fait de la victime) présentant les caractères de la force majeure.
En matière extracontractuelle, la force majeure est l’événement dont le défendeur ne pouvait éviter la réalisation ou les conséquences par des mesures appropriées.
[alinéa 3 sans changement] En matière contractuelle, la force majeure est définie à l’article 1218.

Art. 1254 – « La faute de la victime est partiellement exonératoire lorsqu’elle a contribué à la réalisation du dommage. »

Art. 1255  [sans changement] « La faute de la victime privée de discernement n’a pas d’effet exonératoire. »

Art. 1256 – « La faute de la victime directe est opposable aux victimes par ricochet. »

Art. 1257 Art. 1242-1 ou 1243 [à condition de décaler tous les articles] – « Le fait dommageable ne donne pas lieu à responsabilité pour faute lorsqu’il était prescrit par des dispositions législatives ou réglementaires, autorisé par la loi ou la coutume, imposé par l’autorité légitime ou commandé par la nécessité de la légitime défense ou de la sauvegarde d’un intérêt supérieur dans les conditions prévues aux articles 122-4 à 122-7 du Code pénal.
Ne donne pas non plus lieu à responsabilité le fait dommageable portant atteinte à un droit ou à un intérêt dont la victime pouvait disposer, si celle-ci y a consenti. Le consentement de la victime est sans effet lorsque celle-ci a subi un dommage corporel. »

Publié le 23/08/2016